Blaye, inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco dont l’origine remonte à l’époque gallo-romaine, a une très belle devise : » Étoile et clé de l’Aquitaine »
Elle a en effet une position stratégique sur l’estuaire de la Gironde. D’elle, on connaît surtout aujourd’hui la citadelle édifiée sous les ordres de Vauban et typique de ces forteresses défensives en étoile. A l’intérieur de la citadelle, subsistent les ruines du château des Rudel.
Le château initial avait été détruit par le grand-père d’Aliénor,Guillaume IX du temps où Jaufré Rudel était enfant et fut reconstruit durant le règne du père d’Aliénor, Guillaume X.
Au moment où Aliénor et Louis quittent Bordeaux pour Poitiers en passant par Saintes, puis s’arrêteront au château de Taillebourg tenu par Geoffroy de Rancon, où ils passeront leur nuit de noces, L’Histoire ne nous dit pas quelle route prit le couple royal parti de Bordeaux via Saintes, puis Taillebourg où l’on pouvait franchir la Charente.Louis et Aliénor ont-ils traversé la Garonne vers Lormont où se trouvait le camp royal? Il leur fallait de toute façon encore franchir la Dordogne en absence de tout pont. Ont-ils fait route ensuite directement vers Saintes ou ont-ils fait une halte dans le château des Rudel à Blaye ?
Durant la deuxième croisade, menée par Louis VII et Aliénor, nombre de chevaliers poitevins prendront la croix dont Geoffroy de Rancon. Parmi la suite du comte de Toulouse, se trouvait le troubadour poète, Jaufré Rudel,(1100-1148 )prince de Blaye, chantre de cet amour lointain : « Amor de lonh ».
Qui ne se souvient parmi nous d’avoir croisé les vers de Jaufré Rudel et surtout sa légende ? Beaucoup de princes de Blaye s’appelèrent ainsi mais lui semble être le deuxième portant ce nom.
Jaufré Rudel , selon la légende,ne revint jamais à Blaye car il serait mort dans les bras de la comtesse de Tripoli (comtesse ou princesse, selon les sources) pour laquelle il se mourait d’amour sans l’avoir jamais vue. iI aurait endossé le rôle de croisé, pour partir sur ses traces,simplement après avoir entendu parler en bien de la dame par les pèlerins qui revenaient d’Antioche.
« Que nul ne s’émerveille de moi
Si j’aime ce qui jamais ne me verra,
Qu’en mon cœur il n’y a joie d’autre amour
Que de celle que jamais je ne vis,
Et pour nulle joie ne m’en réjouis,
Et ne sais quel bien m’en viendra »
Au cours de la croisade, malade et dans un état critique, Jaufré Rudel aurait été transporté à Tripoli où apercevant sa bien-aimée il recouvra l’odorat et l’ouïe, juste avant de mourir dans ses bras. Il fut enseveli sur place et elle se fit nonne le jour-même !
« Bien sais que d’elle jamais n’ai joui
Ni qu’elle jamais de moi ne jouira,
Ni pour son ami ne me tiendra,
Ni promesse ne m’en fera ;
Ni ne me dit vrai, ni ne me mentit
Et ne sais si jamais le fera. »
Si la vie de Jaufré Rudel a permis de telles suppositions romantiques et la naissance d’une telle légende c’est que contrairement à d’autres biographes ayant écrit sur d’autres troubadours, l’auteur de sa biographie est ici anonyme.
« Le rédacteur de sa « vida » perçut que, pour Jaufré Rudel, le vrai amour, est celui qu’il n’a pas encore vu, celui qui n’est pas encore fixé dans une image, qui échappe à la connaissance pour s’inscrire dans l’éternité d’un désir, dans l’excellence d’un chant. » KATHY BERNARD/ Les Mots d’Aliénor
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Pour terminer ce billet, sans doute le poème le plus connu de Jaufré Rudel
Amour lointain
Lorsque les jours sont longs en mai
Me plaît le doux chant d’oiseaux lointains
Et quand je suis parti de là
Me souvient d’un amour lointain ;
Lors m’en vais si morne et pensif
Que ni chants, ni fleurs d’aubépines
Ne me plaisent plus qu’hiver gelé.
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Je tiens bien pour seigneur de vrai
Celui par qui verrai l’amour lointain ;
Mais pour un bien qu’il m’en échoit
J’en ai deux maux, tant m’est lointain.
Ah, fussé-je là pèlerin,
Que mon bâton et ma couverte
Puissent être vus de ses beaux yeux !
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Joie me sera quand je lui querrai,
Pour l’amour de Dieu, d’accueillir l’hôte lointain,
Et s’il lui plaît m’hébergerai
Auprès d’elle, moi qui suis lointain,
Alors seront doux entretiens
Quand l’hôte lointain sera si voisin
Que les doux propos le soulageront.
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Triste et Joyeux m’en séparerai,
Si jamais je la vois, de l’amour lointain
Mais je ne sais quand la verrai,
Car trop en est notre pays lointain :
D’ici là sont trop de pas et de chemins ;
Et pour le savoir, ne suis pas devin
Mais qu’il en soit tout comme à Dieu plaira.
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Jamais d’amour je ne jouirai
Si je ne jouis de cet amour lointain,
Je n’en sais de plus noble, ni de meilleur
En nulle part, ni près ni loin ;
De tel prix elle est, vraie et parfaite
Que là-bas au pays des Sarrasins,
Pour elle, je voudrais être appelé captif !
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Dieu qui fit tout ce qui va et vient
Et forma cet amour lointain,
En vérité en tel logis
Que la chambre et que le jardin
Me soient en tout temps un palais.
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Il dit vrai qui m’appelle avide
Et désireux d’amour lointain,
Car nulle joie ne me plaît autant
Que jouissance d’amour lointain.
Mais ce que je veux m’est refusé,
Car ainsi me dota mon parrain,
Que j’aime et ne suis pas aimé.
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Mais ce que je veux m’est refusé ;
Qu’il en soit maudit le parrain,
Qui me dota de n’être pas aimé.
Le livre d’or de la poésie/ JEAN ORIZET traduction Albert Pauphilet.
à suivre…