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C’est avec cette dernière image emportée du Domaine de Certes que j’ai souhaité rendre hommage à

EDOUARD GLISSANT.

Non pas que je me targue de connaître ce poète. J’avais simplement envie de le lire et j’avais acheté récemment son livre

Pays rêvé, pays réel.

Je lui laisse donc la parole. Parce que ses mots continueront à habiter longtemps les terres d’eaux dont il était issu.

« Je suis partisan du multilinguisme en écriture, la langue qu’on écrit fréquente toutes les autres. C’est-à-dire que j’écris en présence de toutes les langues du monde. Quand j’écris, j’entends toutes ces langues, y compris celles que je ne comprends pas, simplement par affinité. C’est une donnée nouvelle de la littérature contemporaine, de la sensibilité actuelle : fabriquer son langage à partir de tant de langages qui nous sont proposés, par imprégnation, et par la télévision, les conférences, les musiques du monde, poèmes islandais ou chants africains. Non pas un galimatias, mais une présence profonde, et peut-être cachée, de ces langues dans votre langue. »

Propos recueillis par Lila Azam Zanganeh et publiés dans Le Monde en 2006.

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 » Au chemin qui navigue est un clos où des rus s’enlacent,

l’esprit qui veille est un danseur, soûl de ses mains lassées. »

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« Maintenant c’est la nuit,l’étape a posé sa ruche dans le silence.

Une étoile dessine à l’aquavive son vieux rêve.

Des tessons brûlent à demi. »

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« L’oeil dérobé nous a suivis, où l’eau dormait en son givre:

L’ordre des mots ne distrait pas le monde. »

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« L’INNOMÉ

Les yeux en gale les yeux

Brûlent autour de vous

La mort en parchemin

Crayonne les os un à un. »

Edouard Glissant

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Et la nuit tomba

De ses heures écorchées

En corolles où les flammes avaient regagné leur couche

Circonvolutions d’œillets dans les plis desquels les lèvres étaient liées

A des martèlements de tambours battant l’angoisse

Le dilemme, la peur, les mots aux angles non équarris

Insomnie jouant à saute-mouton tombant dans le vague

De l’inconnu au manteau de fantôme grisé, noirci d’échos

Refusant la clarté et la douceur apaisante

Froissant sur l’oreiller le grain de peau de la joue

Désarticulant le corps comme un pantin

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Et la nuit tomba

A nos pieds de statues du soir, devant nos yeux incrédules

Occultés par le voile de lumière lancinant et tombant dru

S’échappant en bribes, en papillons impressionnistes.

Il y avait tant de jours oubliés, qui n’avaient pas été consommés

Tant de paroles rentrées en gorges profondes, tant de sensations

De peaux veuves du toucher, tant d’années écoulées dans l’oubli

De soi, de l’autre et des océans muets malgré leurs ardeurs de marées

Tant de soleils venus se mirer dans les eaux bleues, dans les eaux irisées

Tant de mots à la coque vide flottant au gré des sourires figés sur la toile

Parcheminée de poussière jamais chassée et qui retombait au gré des vents.

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Et la nuit tomba

Elle pantelait comme  tant d’espoirs blessés, abandonnés à l’épreuve du temps.

Elle s’abandonna et se laissa flotter dans les particules immatérielles

Succédant à chaque incendie, à chaque avancée des flammes du couchant.

L’homme avait oublié son filet à papillons de lumières dans le coffre des jours.

Il se contenta des rayons obliques qui l’obligeaient à fermer ses paupières

Emportant dans son cœur quelques semelles d’oubli, quelques semelles du vent

Quelques envols qui l’avaient surpris et l’avaient laissé encore plus riveté au sol.

Il s’en alla de son pas pesant, retrouvant les tambours au tempo hallucinant

Chaque minute le rapprochait du monde noir où il percevait de la lune

Les plein similaires à ses  vides qui le poussaient à mettre les voiles.

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Si le domaine de Certes m’était conté:

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Le ciel bayadère

Ou berlingot roulant sous la langue

Orange passion funeste

Ou rêves grenade non dits.

Le ciel a l’ incroyable clameur pantelante

De ses feux d’amour semés atout vent

L’irréel jeté à nos pieds

Nos bouches closes.

Roses les eaux des chenaux.

Roses les passe-temps

Sur le sentier.

Rose conte à rebours.

Maïté L

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Il arrive parfois que le bleu nous envahisse, nous garde à la lisière des mots, que la page reste blanche sous le plafond des heures penchant vers la terre.

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«  Ne croyez pas que tout ce bleu soit sans douleur »

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Point de naïveté, d’oubli durable mais un parti-pris de l’iris.

Le bleu n’est-il qu’un leurre, une illusion d’optique, un théâtre d’interdit?

Bleu suave, bleu de velours, flottant tel une brume sur le paysage.

Le paysage, ce costume de l’âme où glisser la légèreté du paraître.

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«  Nous sommes ici pour peu de temps : quelques mots, quelques phrases, si peu sous les étoiles, rien que cela, parmi tout le reste. Du bleu dans la bouche, jusqu’à la dernière heure. Voix blanche, voix tachée, conjurant la mort, écoutant sans effroi craquer les os du ciel et de la mer.« 

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Les citations entre parenthèses sont de Jean-Michel Maulpoix.

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à hauteur du regard, un bateau passe, glissant vers des contrées plus claires.

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Le regard captivé par  les touches pianotées rouge braise, or sur glace.Le soleil gagne les visages, généreux, horizontalement puissant.

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Aucun tremblement de l’air coupant comme verre à pied-d’œuvre versant le métal de l’hiver en fusion sur les dernières minutes possibles d’immobilité.

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Le regard de loin en proche à la recherche du labyrinthe hanté par le soir en couches successives, fondues, plaquées, superposées, révélées au plus offrant.

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Le souffle court sur le miroir des heures propices à l’envol de l’esprit.

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Décorporation.

Être le bateau qui rentre au port.

Être l’eau qui vient de la presqu’île.

Être le ciel dans son fourreau de danse maléfiquement pur.

Être.

Samsara.

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Être infiniment soir.

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Derrière les roseaux, une autre scène se préparait. La marée nourrissait l’espace mètre après mètre; Le soir venait en renoncement au jour. Le domaine de Certes s’endormait dans ses coins secrets. Côté Bassin, tout allait se jouer. Les rares promeneurs cédaient la digue: la frontière entre deux mondes antagonistes;la digue au-delà de laquelle les chasseurs se mettaient à l’affût. Comme le dit l’un d’entre eux, fusil prêt à la détente,  si les canards et autres sarcelles s’aventuraient hors de leur espace protégé, ils entreraient dans le champ de tir et deviendraient gibier. Il avait suffi d’une coloration subite du ciel; il avait suffi que le bleu ait moins de pouvoir pour que le renversement d’influences s’opérât.

Heureusement , tout le temps que dura le coucher du soleil, nous n’entendîmes pas un seul coup de feu.

Horreur et peur des armes.

« L’azur, certains soirs, a des soins de vieil or. Le paysage est une icône » écrit Jean-Michel Maulpoix; il trouve tant d’échos en nous tous avec son bleu qui est aussi le nôtre.Une icône, qui comme beaucoup d’icônes venait là de perdre sa valeur sacrée avec l’apparition du soir. Comme souvent, les icônes sont voisines des armes.

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NEUF ECLATS DE GESTE

« se détacher du temps comme une fleur

de sa tige


qui griffe la lumière

fait durer

la courbe


à l’angle d’envol

tirer son corps

vers le bleu


c’est la boule du monde

qui libère

l’horizon »

ZENO BIANU/ Infiniment proche

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Sur la scène, le rideau de branchages et de roseaux s’écarte lorsque le vent frappe les trois coups.

Jeu de cache-cache.

Comme  au théâtre, l’un entre en scène puis s’efface: le galbe d’un cygne, puis un autre.

Silence. Le souffle suspendu.

Et le ballet commence.

Jeu de cache-cache.

Glisse sans but précis. Lisser le plumage, apprêt en accord paysage.

Chacun pour soi.

Semble-t-il.

Et puis

la mélodie harmonieuse du silence.

Soudain, les danseurs de la lagune immobile

se rejoignent

et vont de concert en concert.

Une seconde en éclat de geste sépare chaque envol

parallèles au couchant

ils tracent les chemins du soir

ne laissant aux roseaux que des perles d’eau

bien vite effacées par l’instant

du fruit d’une blanche beauté parfaite.

Dents  de laine et pics d’argent

aiguilles de vent et craquelures de terre

Il est venu l’hiver sur les berges

vriller les remous et les écailles

siffler des feuilles

échappées du temps

et engrosser les nuits

interminables compagnes

aux seins ployant sous les heures

comme pommes ridées

des jours de grisaille

comme neige râpeuse

sur les haies de l’été

Il reviendra le soleil sur la mousse

les lichens refleuriront

de leurs âges millénaires

sous la caresse de L’Enclume

dans le silence des mains de paille.

Maïté L

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Woolly teeth and silver picks,

Windy needles and cracked earth

Winter came on the banks

Piercing swirls and scales,

whistling leaves,

flights of time,

knocking up the nights

those endless companions

with breasts heavy with time

like wrinkled apples,

gloomy days

rough snow upon

the hedges of summer.

The sun will come back on the moss
the lichen will arise from old age
under the caress of the Anvil
in the silence of straw hands.

traduit par Mosea
tous

mes remerciements.