« Ainsi le mur dans ses pierres est-ce un motif pour dire où nous en sommes. Elévation des pierres et des mots. La langue creuse les fondations, l’herbe reprend notre mémoire Nous écoutons ce qui rassemble en nous d’autres lieux et d’autres temps où rien ne fut inscrit. »
GEORGES DRANO
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Nous voici partis pour explorer le livre des murs et leurs diverses « géographies »; avec leurs strates semblables à celles sur lesquelles s’élèvent les villes(la vie aussi?) et dont on découvre l’histoire pas à pas.
Et comme dans chaque balade, il y aura des allers simples et des retours, des livres à ciel ouvert et d’autres dans les entrailles de la terre,une ouverture vers le street art, des témoignages discrets et d’autres éclatants de couleurs, des digressions au fil de la pensée, des bonds de pierre en pierre, de fleur en fleur, de parfum du passé en lumière du présent: ainsi se tisse l’étoffe du temps.
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1 par Re Chab
des murs ( le chant des plantations ….)
-Elle s’accroche dans les creux,
Dessine des arabesques ,
Des floraisons au sein
des murs arides .
Et cela grandit,
D’abord en lichens,
Recouvrant petit à petit,
L’écriture penchée
« défense d’afficher »,
Encore visible sur l’enduit.
Il disparaît à plusieurs endroits,
Révèle des pierres, bien jointoyées,
Où bientôt , pointe de la couleur,
Un rose insolent,
Une fleur .
Elle échappe au sévère,
Et s’est trouvée une autre nature,
Autant de vie,
A défier le ciment
En un nouveau printemps.
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2 en écho
Mur, muret ou muraille ?
Il y a des murs qui disent oui
Et d’autres qui disent non.
Ils s’habillent de ciment
Se lissent, s’oublient
Se murent dans l’oubli
Se cachent à la vue
Se dérobent, se neutralisent
Même les ombres ne s’y arrêtent guère.
D’autres se dévoilent au passant,
Et l’affichent ROUGE
Ou bien disent à la face du monde
A l’œil et au doigt s’y promenant
Qu’ils sont accueillants.
Ces murs généreux
Nous renvoient la chaleur
Lorsque notre énergie est morte
Ou bien nous épaulent
Lorsque nous semblons rendre l’âme.
Mot à mot sur le mur primitif
Les pensées prennent vie
Les fleurs de lumière s’y lovent
Sans terre, sans eau mais si vives
Qu’on y lit le livre du printemps
Parfois, l’automne y fait ses gammes
En chevelure frissonnante de feuilles
En guirlande de lierre prospère
Où le lézard joue à la balancelle.
Soudain l’horizon s’illumine
D’une fleur des chants
D’un arbre jailli de ses entrailles.
Le mur a parlé, le mur fait racine
Et la vérité s’élève vers le ciel.
Qui fit un mur, édifia un tableau
Qui fit une barrière la vit prendre mot
Qui planta un arbre lutta contre poussière
Qui lut le proverbe fut initié
A la langue des signes.
Maïté L
photo prise en bordure du parc de la sérénité/ Mérignac 33
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3-Petite suite
Vois-tu ce que les murs cachent,
Avec leur robe de ciment,
Leurs cheveux de piquants,
aux tessons qui dépassent… ?
Ce que certains interdisent,
C’est d’abord le regard :
Devant le corps, une barre,
Contre la convoitise…
Je ne sais s’ils sont accueillants,
Si ce sont ceux qui enferment,
En montrant leur épiderme
Même s’il est verdoyant.
Et, il est vrai, plus sympathique,
S’il est couvert de lierre,
Qu’hérissé de barres de fer,
Et autres piques.
Mais ce peut être le mur d’enceinte,
Prolongeant les pentes escarpées,
D’où l’on ne peut s’échapper,
Qui symbolise la contrainte.
-photo perso – enceinte de Loropeni ( Burkina-Faso)
Celui de la prison,
Ou la loi se fait ciment,
la logique de l’enfermement,
Enrobée de béton.
Celui de la ville,
Qui se barricade,
Et joue la canonnade,
De peur qu’on la pille…
Celui du mur de la honte,
Qui tronçonne les quartiers,
( c’est pour mieux vous châtier,
Qu’on les monte ) !
Alors je préfère ceux,
Qui se manifestent,
Que les graffiti contestent,
Ou qui sont moins belliqueux.
La verticale est un obstacle,
Dressé contre la nature,
Et je n’aime les murs,
Qu’en tant qu’habitacle.
Ou bien ceux qui parcourent la campagne,
Et n’évoquent pas le bagne…
Pour séparer les champs,
Comme dans les îles d’Aran,
photo; murs sur l’île d’Aran ( Irlande)
–
RC
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4- C’est l’histoire d’un mur amer…
Acte I : Dans les jardins :
Il y eut toutes ces années d’enfances
De simples haies de verdure
Livrant le passage à des jeux sans fin,
Trois maisons sans frontières
Et des poursuites, et des rires entre les arbres :
Les bambous, le tilleul
Le lilas et le chêne
L’immense magnolia aux feuilles vernissées
Et le vieux cerisier…
Acte II : Un jour la maison fut à vendre : ils ne l’avaient jamais aimée.
Le vieux cerisier abandonné
Fait ses adieux sans avoir démérité
Aux oiseaux et au vent.
Arbre courage à la généreuse blancheur
Il défie les tristes panneaux
Posés à la hâte sur le portail
Grinçant à deux vantaux.
A vendre. Propriété tombée en disgrâce.
La villa se décompose les volets clos
A l’ombre du magnolia et du vieux tilleul.
Les chats , passagers du silence
Effacent les ans sur le seuil usé.
J’ai mal au tendre aubier de l’an
A ses branches murmurant aux passants,
Que les oiseaux n’auront pour tout festin,
Qu’une parade en pétales blancs.
Le cerisier touchera terre
Avant le prochain printemps.
Acte III : Fin des arbres.
Peu de temps après l’écriture de mon poème « le vieux cerisier » une pelle mécanique arriva et j’assistai au carnage : la chute sauvage des arbres arrachés, cassés.
Le cerisier n’eut droit à aucun égard.
Acte IV : Les travaux de construction :des murs montent, montent…
Musiques de vie
Un matin ordinaire
à l’éveil d’un chantier:
Soudain, quelques bribes
d’un chant de son pays.
Mais qu’il est loin l’été à recoudre les racines!
Des marteaux de non cadence
et un klaxon en transbordement
du sable, du sable qui dégouline,
des fausses pyramides
des plages où la sueur
Vient faire barrage au gel.
Des pelles silencieuses
à tournebouler la terre
Tam tam de grosses caisses
et flon flon mécanique en béton
Un matin si ordinaire…
Au loin résonnent encore des pépins amers
Des clameurs, des nuits de rancoeur
et de fronde,
couleur de feu, couleur de sang.
J’ai peur
Quand les mots enflent,
Quand les gestes dérapent,
Nous laissant Marionnettes pensantes
De tous ces mondes parallèles.
Marionnettes aux aguets
spectateurs ou acteurs
Nous écoutons
tous ces grains de l’hiver
ces musiques de vie
si emmêlées.
Qu’on ne sait
qui tire
les ficelles….
Acte V :Fin
Le grand bâtiment ouvert au public, le grand cube construit nous cache les ciels enflammés du crépuscule. Il y a quelques jours encore, je les apercevais dans le miroir des fenêtres.
Nous appelions de tous nos vœux la construction d’un mur, d’une palissade nous rendant notre vie, un semblant d’intimité, nous séparant de nos nouveaux voisins
Il est là, en bois….
C’est l’histoire d’un mur, l’histoire d’une page qui se tourne, un point de rencontre entre la nostalgie d’un passé révolu et la raison.
Mais il est toujours aussi vrai que « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas.
Maïté L
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5-par Re chab
Muraille
–
Autant il s’agit d’une masse,
Qui se dresse,
Mais qu’il a fallu jauger,
C’est à dire évaluer,
Dans son volume futur,
De pierres, de ciment,d’armatures…
Et combien de camions ont été nécessaires,
Mais aussi les tranchées, les soubassements,
Les drains d’où l’humidité s’échappe ;
Autant il s’agit de la mettre en œuvre,
Cette muraille ;
De soulever le poids d’une pierre,
De l’aligner sur la voisine,
De l’épanneler,
De choisir la bonne assise,
Le bon angle,
De l’élever progressivement,
D’utiliser les grues,
D’extraire le sable de carrière….
La construction s’arque-boute
Sur elle-même,
Pèse de sa propre masse,
Sur sa verticale,
Sur les pierres de la base,
Sur les fondations.
Elle joue la carte de la durée,
Et déjoue même dans la mémoire,
Son origine,
Le pourquoi de sa présence ici….
( mur d’enceinte de Rome, construit par Aurélien)
Elle clôture la propriété,
S’orne d’arcades,
Se pare de meurtrières,
D’un chemin de ronde,
S’élève en tours,
Gravit les pentes,
Dessine les contours de la ville,
Puis jusqu’à la démesure,
Une frontière,
( La Muraille de Chine .)
La marque de la puissance,
La verticale de l’arrogance,
Mais qui porte en son sein,
La crainte,
Celle de ceux dont on se protège,
Et qui parviendront,
A trouver le défaut de la cuirasse,
Si la vigilance chancèle,
Si les dynasties faiblissent,
Et se diluent dans le temps.
Car c’est justement le temps,
Qui morcèle les murs.
L’envahisseur viendrait
Davantage de l’intérieur,
Si d’autres usages font,
Que la muraille n’est plus utile,
Ou finit par encombrer :
On s’en sert de carrière,
On l’arase, on la perce,
D’autres constructions s’adossent à elle….
Offerte aux intempéries,
Elle suit le cours des choses,
Se ride et se lézarde,
Et il n’est pas rare que des racines
La soulèvent, pénètrent les interstices,
Lui donnent un fruit,
Et qu’à la poussée de la terre,
Quelques pierres se détachent,
Et même , que des pans entiers
Se décrochent comme par lassitude…
(chute d’un des remparts de Parthenay)
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6- Le château de Bonaguil ou la force tranquille
Aujourd’hui sans doute, il pleure contre ses flancs
Des larmes de pluie, des pétales odorants
Mais la muraille en rit : les larmes viennent heurter en vain l’infini.
Le temps n’a pas de prise sur le bâti, sur le château
Qui d’un lointain enfoui sous les strates nous fait signes.
Mais quand vient l’été
Alors, le soleil généreux du Sud-ouest
Effleure les pierres où le vent vient baguenauder
A l’ombre du sentier pentu.
Le regard s’élève ou bute… Contre la lourde porte
Où vient s’engouffrer notre imagination
Devant quelques costumes entrevus :
De longues et lourdes robes nous font rêver
Tout comme les armures où jouent les reflets.
Bonaguil se dévoile lentement…
De loin il campe en majesté sur son éperon rocheux.
Il faut prendre le temps de s’en approcher, faire halte à ses pieds
Laisser monter l’émotion, s’y sentir accepté
Autorisé à caresser de la main le destin des pierres
Et du regard admirer leur tourbillon, leur audace.
Pénétrer dans le cocon d’entre les murs nous entraîne
Vers les tours aux plafonds blonds et circulaires
Dans l’enfilade des pièces, devant la grande cheminée
De la salle d’apparat où flambaient des troncs entiers
Dispersant leurs étincelles et leurs jeux d’ombres.
Et puis s’asseoir à la table massive, prendre la plume maladroitement
S’essayer à la calligraphie en mode médiéval…
Si loin de toutes ces flèches fusant des archères
Leur préférer l’instant-bulle fugitif des cœurs de lumière.
Bonaguil, pierre après pierre nous fut conté
Lui, le château peu à peu restauré, jamais abandonné.
Aujourd’hui, Bonaguil n’en finit pas de vibrer
Laissant à ses visiteurs une émotion profonde.
Maïté L
http://www.chateau-bonaguil.com/fr
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Les Vivres de l’Art/ Bordeaux 2014
7-_ Par Rechab le 31 05 15
Ce sont des façades qui portent en elles les fatigues.
L’envers de la surface décrépite,maintenant offert sur l’extérieur
L’air les traverse, et les intérieurs s’éparpillent.
Avec leurs entrailles de câbles, de tuyaux, de conduits, qui sont, de la sorte, comme dans nos corps, les circuits que nous portons, sans en avoir forcément conscience.
On sait que le sang pulse, que l’oxygène nous est nécessaire, que les nerfs transmettent les sensations, et permettent le mouvement.
Les maisons sont alors ces corps, laissées pour compte, mais leurs murs encore debout.
Sentinelles, marquées de la pulsation du passé.
Tu peux voir, leurs papiers peints, changeant selon les étages, une mosaïque de couleur, des gris, des roses, des verts…. et la destination des pièces :
Une mise en scène involontaire, préservant , par l’ombre, l’emplacement où les meubles et les tableaux sont restés immobiles, sur l’échelle des années .
Les alignements verticaux des lavabos et des baignoires, les portes, qui ne débouchent plus sur rien.
Comme si la vie était suspendue aux ustensiles, hésitant entre sa disparition et le témoignage.
Une rampe d’escalier serpente, à la façon d’une colonne vertébrale.
Des pigeons s’y accrochent.
C’est une falaise écorchée.
Le clos est ouvert, donné au vent : un corps déchiré sur l’indifférence ; sans intention de montrer.
Même pas le corps disséqué de la « leçon d’anatomie »
Le regard y plonge, et c’est presque indécence.
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( j’avais déjà écrit il y a longtemps quelque chose sur ce thème, visible ici)…