Une fée s’en est allée, fauchée à l’aurore des temps.
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J’aurai juste croisé pour la première fois dimanche dernier, l’œuvre photographique d’ANN CANTAT-CORSINI à L’INSTITUT CULTUREL BERNARD MAGREZ, à Bordeaux, dans l’ambiance du PAVILLON BOÉTIE qui lui va à merveille. Elle s’y épanouit comme une fée entre réel et rêve dans la pénombre ambiante.
ANN CANTAT-CORSINI donnait une vision du monde, de la nature qui allait aux myopes dont je suis et pour lesquels le flou est une coquetterie de l’âge, mais aussi et surtout aux rêveurs et aux poètes. Brouillard, brumes et légers voiles nimbant les paysages de matins des origines, de soirs entre chien et loup ou de nuits étranges nous prennent par le bout du regard dans une autre dimension, celle de l’impalpable.
D’ailleurs quel bonheur ai-je ressenti lorsque je suis entrée dans le Pavillon Boétie, d’être ainsi accueillie poétiquement, non seulement par le titre m’invitant à « Respire »
HENRI MICHAUX/ L’avenir de la poésie.
mais aussi à me ressourcer dans « L’Aurore des temps ». Petits formats regroupés par thèmes de couleurs, d’éléments : nuages, arbres, routes…, grands formats.
« Pourquoi la poésie? Parce que sans elle il n’est pas possible de respirer! Parce que sans elle nous ne vivons pas vraiment. »
Fabrice Midal/ Pourquoi la poésie?
Je ne sais d’où vient la lumière dans ses œuvres et je ne veux pas le savoir. Je peux faire un bout de chemin dans l’imaginaire, assise dans un véhicule à la nuit tombée, en jouant avec les différents éclairages, avec les lampadaires en appoint ou pas, avec ces lueurs occasionnelles. Je ne le sais pas mais n’est-ce pas plutôt parce qu’en Ann Cantat-Corsini brûlait une flamme intérieure qu’elle nous donnait à percevoir, à recevoir presque religieusement, une manière sensible et personnelle, intelligente de voir ce que nous ne savons pas voir, ce qui nous effleure en un souffle, une ambiance si particulière.
Mais hélas, la flamme de vie d’ANN CANTAT-CORSINI s’est éteinte prématurément à l’âge de 47 ans dans la nuit de mardi à mercredi.
Je ne savais RIEN d’elle avant la visite de cette exposition. Tout juste son nom me titillait-il. Je me promettais de me renseigner car elle m’avait prise par le bout de la poésie, elle m’avait envoûtée dans cette ultime manifeste impressionniste.
Était-ce parfois la forêt des Landes ou bien celle de Brocéliande que je croyais voir ? Était-ce un avant ou un après orage ou bien la chanson du vent dans les cimes des pins qui me sont chers ou bien de tout autre arbre s’élevant comme un être vivant à part ? Était-ce ce ruban d’asphalte que je vois défiler lors des retours nocturnes hebdomadaires des Landes, celui qui me fascine aussi et qu’elle a su traduire si bien en mon nom de spectatrice ? Etait-ce ce spectre de couleurs ? Ou bien pourquoi pensais-je à ce premier film du cinéaste turc NURI BILGE CEYLAN et aux premières images de son film « Il était une fois en Anatolie » ?
Que dire ? Que je suis touchée de cette coïncidence d’avoir baigné dans ses lieux de mémoire, ses paysages qui disaient la liberté et qui m’enchantaient.
Oh, bien sûr, depuis j’ai cherché à en savoir davantage et j’ai rencontré son humanité lorsque son regard précis, joint à celui de son mari BRUNO CORSINI œuvrait pour la mémoire bordelaise dans un court-métrage sur la Cité des Aubiers : un sacré moment d’Histoire locale, loin des clichés à charge.
Son œuvre et moi aurions pu nous rencontrer, lorsqu’elle exposa à la Base sous-marine ou lorsqu’elle reçut le Grand Prix Bernard Magrez en 2016. ( L’image « L’Aurore des temps » a reçu le prix d’Excellence Labottière lors du premier Grand Prix Bernard Magrez lancé en 2016). Cela ne se fit pas.
Mais dimanche, je me suis laissée envelopper d’un voile de poésie et de rêve.
Je n’étais pas venue spécialement pour elle, mais pour CHARLES FOUSSARD, lauréat Street-art du Grand Prix Bernard Magrez 2016 dont j’ai déjà parlé lors de l’exposition Transfert dans l’ancien Virgin, place Gambetta.
Je découvris aussi VALÉRIE BELIN, déjà exposée à Paris mais l’émotion me fut réservée, comme une cerise sur le gâteau par ANN CANTAT-CORSINI. Je compris, dès la prise de billet à l’accueil, en voyant les cartes postales d’ANN que quelque chose allait se jouer dans cette rencontre.
Ici la photographie va au-delà du sujet, au-delà de la Couleur-lumière. L’acuité affinée de la sensibilité traduit la perception en pures vibrations lumineuses.
« La poésie est le plus court chemin d’une sensibilité à une autre » A BEUCLER
Merci ANN CANTAT-CORSINI d’être qui vous avez été.
« Nous méritons toutes nos rencontres. Elles sont accordées à notre destinée ».
François Mauriac
Exposition « Respire » Ann Cantat Corsini | Institut Culturel Bernard Magrez – Bordeaux