« Tel un épouvantail il ne fait peur que de loin. »
Proverbe égyptien
Mes promenades dans le quartier me conduisent souvent au Jardin de la Béchade
Ce petit parc proche du stade Chaban-Delmas et du CHU, abrite depuis son origine, de nombreuses espèces de chênes et des plants de vigne (proximité de crûs célèbres comme Château Haut-Brion ou Château Pape Clément)venus s’ajouter aux arbres tricentenaires sur cette ancienne propriété privée appartenant maintenant à la Ville de Bordeaux.
L’année dernière, sont nés à leur tour les jardins partagés qui portent le nom de « Jardins de Bacchus ».
Pour fêter le premier anniversaire des Jardins partagés une fête champêtre et un concours d’épouvantails ont eu lieu ce mois-ci.
Dans nos campagnes livrées aux pesticides, dans nos jardins on ne voit plus guère d’épouvantails, sensés assurer l’intérim des jardiniers et paysans lorsque ceux-ci sont absents des champs. Mais qu’épouvantaient-ils vraiment, confectionnés à partir de vieux habits, de vieux chiffons, de paille et crucifiés à tous vents. Je crois bien plus à leur formidable capital de sympathie qu’à leur pouvoir d’effarouchement, à force d’observer la capacité de nos oiseaux à s’adapter à leur environnement.
Aujourd’hui, les épouvantails sont revenus symboliquement dans les Jardins de Bacchus où d’ailleurs, Bacchus lui-même s’est invité.
Les épouvantails sont les amis des enfants, des poètes et de la culture raisonnée, comme j’ai pu le constater lors de ma première visite. Ils donnent de la couleur, de l’humour, de la joie de vivre aux jardins partagés. Ils sont les clowns joyeux de nos pensées et de formidables liens alimentant les conversations. Ils nous ressemblent dans nos travers, nos préoccupations ou nos joies. Mais aussi comme un dessinateur talentueux pourrait le faire, ils croquent nos travers ou les travers de certains corps de métier.
Aux jardins de Bacchus, les nombreux épouvantails font vibrer l’esprit jardin et nature et semblent chanter la chanson de l’été.
L’épouvantail traditionnel est souvent masculin, souvent affublé d’un couvre-chef, je sais gré à certains d’avoir conçu une dame créole qui ne manque pas d’allure.
Il y a là le gardien du jardin, fortement adepte du divin nectar de Bacchus,
copain de bamboche d’Anatole, conçu par notre correspondante Sud-Ouest Chantal (qui est aussi mon amie),
le gardien des roses trémières, Le Drôle d’Oiseau , frère du vent, toujours conçu par Chantal,
tout comme l’épouvantail qui nous accueille à l’entrée. Bacchus évolue au milieu des capucines et les contributeurs à la réflexion sur la nature et les déchets ont fait non des hommes non de paille mais de sacs poubelle qui ne manquent pas de charme lorsque le vent s’engouffre dans leur robe de plastique
tandis que cliquette l’homme de canettes.
En partant il ne faut pas oublier de saluer les épouvantails qui préfèrent le calme, près d’un banc accueillant
ou dans les bras d’un chêne.
Petite anecdote : lorsque j’ai fait une série de photos : il y avait de la joie au jardin tout bruissant des échos de la fête récente. Pendant que je photographiais, un groupe d’enfants commentaient chaque épouvantail. Bacchus retenait leur attention lorsque à un moment donné, ils m’ont vue et très à l’aise, après un moment d’hésitation dû à mon appareil photo ? à mon immobilité ? à ma joie de les observer ? Ou bien peut-être à mon habillement peu conventionnel, l’un d’entre eux a soudain tourné ses grands yeux vers moi et dit en me regardant : » oh ! je croyais que c’était un épouvantail« !
L’épouvantail
Les cheveux en bataille
Le corps en brin de paille
Vêtu d’un vieux chandail,
C’est l’épouvantail.
Il fait peur aux moineaux
Aux corneilles, aux corbeaux,
À tout oiseau qui piaille,
C’est l’épouvantail.
Est-ce que tu oserais
Le toucher, l’embrasser,
Le prendre par la taille,
Cet épouvantail ?
Corinne Albaut
Il y a donc une certaine empathie entre les non épouvantables épouvantails et moi et je ne voudrais pas clore ce billet sans faire un saut dans « le Magicien d’Oz » auprès de Dorothée qui veut aider l’épouvantail, véritable homme de paille à qui ne manque apparemment qu’une cervelle.
« ça ne me dérange pas d’avoir les jambes, les bras et le corps empaillés, au contraire : on ne risque pas de me faire du mal. Si on me marche sur les orteils ou qu’on m’enfonce une épingle, ça n’a aucune importance, puisque je ne sens rien. Mais je ne veux pas qu’on me traite de sot, et si ma tête, au lieu d’avoir une cervelle comme la vôtre, reste bourrée de paille, comment apprendrai- je jamais quelque chose ? »
Mais au fait quelle est la vie des épouvantails dans les jardins de Bacchus lorsque le parc est fermé au public ?
Un petit détour encore du côté du Magicien d’Oz pourrait semer le trouble en nous.
« Comme Dorothée dévisageait gravement l’étrange face peinte de l’Épouvantail, elle eut la surprise de le voir cligner lentement de l’œil dans sa direction. Tout d’abord, elle crut s’être trompée : au Kansas aucun Épouvantail ne cligne de l’œil ; mais voilà que le mannequin lui adressait un signe amical de la tête. Elle descendit alors de la barrière et s’approcha, tandis que Toto courait autour du pieu en aboyant. – Bonne journée, dit l’Épouvantail d’une voix plutôt enrouée. – Vous avez parlé ? demanda la fillette, très étonnée. – Sans doute, répondit l’Épouvantail ; comment allez-vous ? – Assez bien, merci, répliqua poliment Dorothée ; et vous ? – Ça ne va pas fort, dit l’Épouvantail en souriant, car c’est bien ennuyeux d’être là, perché nuit et jour, à effrayer les corbeaux. – Vous ne pouvez pas descendre ? – Non, ce pieu est enfoncé dans mon dos. Si vous vouliez bien me l’ôter, je vous en serais très reconnaissant. Dorothée se hissa jusqu’aux deux bras et enleva le mannequin, qui, bourré de paille, ne pesait pas lourd. – Merci beaucoup, dit l’Épouvantail, une fois posé à terre. Je me sens un autre homme. Dorothée était très intriguée ; un homme en paille qui parlait, qui s’inclinait et lui emboîtait le pas, tout cela lui paraissait plutôt bizarre. »
Maïté L
à suivre…